La biotechnologie : une affaire personnelle

Article initialement publié dans le magasine Biotechnology Focus en mars 2013.

Écrit par Rob Henderson, Président de BioTalent Canada.

En décembre dernier, un des mes collègues m’a fait part d’une rencontre qu’il avait faite un soir lors qu’il rentrait du travail.

Il était entré dans un de ces restaurants du centre-ville qui vendent des chawarmas à emporter et avait commencé une conversation avec un membre du personnel. Il a appris que son interlocuteur était en fait un médecin irakien qui avait immigré au Canada dans l’espoir d’y exercer la médecine et d’y démarrer une nouvelle vie avec sa famille. Malheureusement pour lui, son rêve devait attendre, car il faudrait plusieurs années pour que sa demande d’autorisation d’exercer la médecine aboutisse, et elle ne constituerait en aucun cas une garantie.

Par conséquent, ce médecin irakien travaillait comme cuisinier pour cet établissement, et même si c’est un beau métier, ce n’était pas celui pour lequel il avait été formé.

Mon collègue a alors évoqué la possibilité d’explorer un autre choix de carrière comme la bioéconomie qui lui permettrait de mettre en pratique ses compétences scientifiques, d’améliorer son statut et d’avoir, sa famille et lui, une vie plus épanouissante.

En réponse, il exprima sa gratitude, son soulagement, sa joie et sa surprise. C’était comme si personne n’avait pris le temps de lui exposer les autres choix de carrières possibles.

Avançons jusqu’en janvier 2013, lorsque les parents de Cameron, un garçon de 10 ans, patientent pendant que leur fils est conduit de toute urgence vers l’unité des soins intensifs d’un hôpital pour enfants de la région. Il souffre d’acidocétose aiguë, symptôme d’un diabète de type 1 non diagnostiqué. Petit à petit, ils se rendent compte que leur vie va changer de manière irrémédiable et être rythmée par des analyses de sang, des régimes rigoureusement contrôlés et des injections d’insuline quotidiennes.

En quoi ces deux histoires sont-elles liées?

Lorsque le Canadien Frederick Banting a découvert l’insuline en 1921, il ne s’imaginait pas qu’en 2011, 285 millions de personnes à travers le monde seraient atteintes du diabète de type 1 ou 2 (d’après l’Association canadienne du diabète).

Les Canadiens ont tous déjà eu affaire à des chauffeurs de taxi, à des livreurs de pizza et à un nombre incalculable d’autres personnes travaillant dans le secteur des services qui étaient en fait médecins, infirmiers, vétérinaires ou encore pharmaciens dans leur pays d’origine, et qui, parce que leur demande d’autorisation d’exercer a été rejetée ou est en attente de validation au Canada, se retrouvent à exercer ces métiers pour gagner leur vie. Leurs compétences scientifiques ne seraient-elles pas plus utiles et ne contribueraient-elles pas davantage à l’économie canadienne si on leur présentait d’autres choix de carrière dans la bioéconomie, contribuant ainsi à propulser le Canada à l’avant-scène de la recherche en matière de diabète et dans d’autres domaines de recherche?

Les premiers résultats de l’étude 2013 d’information sur le marché du travail de BioTalent Canada indiquent que :

  • 35 % des entreprises du secteur de la biotechnologie interrogées ont déclaré que leur plus grand défi en matière de recrutement était d’attirer les candidats possédant les compétences dont elles avaient besoin;
  • 42 % d’entre elles ont affirmé que ce manque de compétences avait des répercussions importantes sur la capacité de l’entreprise à atteindre ses objectifs.

L’immigration constitue une priorité nationale dont l’industrie va dépendre davantage puisqu’elle est la force motrice qui alimente les nombreux sous-secteurs de l’économie canadienne. Nous devons donc absolument apprendre à mieux orienter les immigrants qualifiés vers les régions et les secteurs de la bio-industrie auxquels ils peuvent contribuer de manière importante et dans lesquels ils peuvent mettre en pratique la formation et les compétences qu’ils possèdent déjà.

Si nous n’y parvenons pas, non seulement la bioéconomie sera dans une impasse, mais nous prendrons du retard dans la lutte concurrentielle qui se joue à l’échelle mondiale et qui va déterminer la réussite future de tous les pays : la lutte pour la main-d’œuvre qualifiée.

La biotechnologie est une affaire personnelle pour nombre d’entre nous, pourtant il est facile de perdre de vue les individus qui sont le moteur de ce secteur. La science canadienne améliore la vie de tous, mais nous qui travaillons depuis longtemps dans l’industrie oublions souvent les conséquences humaines concrètes.

L’histoire du cuisinier médecin et celle de l’enfant diabétique doivent être entendues, tout comme les personnes qui ont pris part à la récente campagne marketing de Rx&D intitulée « La preuve vivante ». Avec ces histoires, nous prenons conscience que nous avons besoin de ressources humaines pour mieux rendre service aux Canadiens.

Je me suis récemment rendu compte que j’avais en réalité de la chance, car tous les jours je constate le besoin d’une expertise appropriée dans le secteur de la bioéconomie et dans la recherche médicale.

Mon fils s’appelle Cameron, il est diabétique.